IA et environnement, matières premières du populisme et de la désinformation

Le recul d'un grand nombre de pays particulièrement avancés dans le classement Pisa et l'incontestable montée des thèses complotistes devraient agir comme un électrochoc, estime Gilles Babinet.

« Si nous ne cherchons pas à refaire société, à nous recréer une destinée collective, il sera impossible de mener toutes ces transitions technologiques comme environnementales » s'alarme Gilles Babinet. (Andbz / Abaca)

Que convient-il de retenir des quinze derniers mois ? Indiscutablement, un effet d'accélération. Il y a quelques années encore, le climat était une préoccupation certaine, mais néanmoins lointaine.

Ce n'est plus le cas et nombreux sont les climatologues qui estiment que nous sommes peut-être en train de franchir le cap des 1,5 °C d'élévation des températures, avec des dizaines d'années d'avance sur les prévisions. Avec une augmentation du montant de la sinistralité de 8 %, les assureurs sont les mieux placés pour très concrètement démontrer que la pente s'est accrue et qu'elle est désormais raide.

Vais-je perdre mon travail ?

L'intelligence artificielle vient en second. De mes échanges un peu partout en France et à l'étranger, deux questions reviennent systématiquement. La première : ces machines vont-elles nous déclasser ? Voire devenir conscience ? La deuxième, sans doute posée avec encore plus de persistance : vont-elles profondément altérer le marché du travail ? Vais-je perdre mon travail ?

Certes, il faut répondre à ces questions, du moins en l'état de nos connaissances. Mais il convient aussi de comprendre qu'elles expriment une grande angoisse.

Beaucoup de nos concitoyens se sentent comme des lapins pris dans les phases d'une voiture, sujets de mouvements globaux sur lesquels ils n'ont finalement que peu de prise, et dont les conséquences leur semblent imprévisibles.

Un populisme depuis 2008

Ni les acteurs politiques ou économiques, ni les acteurs sociaux ou les scientifiques ne parviennent à faire en sorte qu'une direction soit claire, soit énoncée et que chacun puisse concrètement se positionner à cet égard.

Il est par ailleurs intéressant d'observer que le populisme a connu une continuité d'années fastes depuis la crise financière de 2008. Cela souligne combien est condamné aux yeux de beaucoup le modèle de globalisation libérale qui reste le cadre dominant de beaucoup de décideurs.

Ces acteurs ont beau s'entêter à promouvoir une vision qu'ils pensent être la voix de la raison, ils n'en sont pas moins de plus en plus désavoués par l'opinion. A ma modeste échelle, je confesse appartenir à cette caste : celle de ceux qui parlent anglais, qui tirent profit de la mondialisation, qui bénéficient du développement technologique, tirent avantage du libre-échange, comprennent les dynamiques du réchauffement climatique, etc.

Déconnexion des élites

Mais tout le monde n'est pas dans ce cas-là, loin de là. Et le recul d'un grand nombre de pays particulièrement avancés dans le classement Pisa tout comme l'incontestable montée des thèses complotistes devraient agir comme un électrochoc. Ce n'est pas le cas et cela démontre la déconnexion des élites : ce sont donc désormais les ruraux, les périurbains contre les métropolitains, et cela pourrait ne faire que commencer.

Si nous n'acceptons pas de voir cette dynamique, si nous ne cherchons pas à refaire société, à nous recréer une destinée collective, il sera impossible de mener toutes ces transitions technologiques comme environnementales. Transition qui nécessitera pourtant d'immenses efforts, des changements de formes d'usages qui ne seront acceptés que s'ils sont largement compris et partagés.

Transition environnementale

Il ne s'agit toutefois pas ici de prêcher pour une démondialisation. Si cette notion est à la mode, elle est absolument naïve, et méconnaît la puissance de la spécialisation des nations chère à Ricardo.

Ce qu'il convient de faire, c'est de saisir cette dynamique nouvelle de transition environnementale qui se superpose à la révolution de l'intelligence artificielle.

Tout démontre que les technologies d'IA peuvent être utilisées pour renforcer la résilience des territoires. Qu'elles peuvent créer de nouveaux systèmes énergétiques, des chaînes logistiques à même de développer des modèles d'économie circulaire. Des systèmes de transports plus efficaces et sensiblement moins carbonés. Elles peuvent remettre la technologie au service du progrès, c'est-à-dire du plus grand nombre.

Epopée énergétique

Nous nous sommes faits à l'idée que l'anima du numérique est nécessairement anglo-saxon, mercantiliste et générateur d'externalités cognitives particulièrement néfastes. Ce n'est pas une fatalité.

Dans les années 1980, ce pays à connu une remarquable épopée énergétique, devenant le leader mondial de l'électricité nucléaire et décarbonée. Nous avons le potentiel de faire probablement de même, à condition de dessiner ensemble ce projet ambitieux.

Sec Babgi