Est-on Amish lorsqu'on croit en l'effet rebond ?

Visiter une maison en terre battue au Moyen-Orient permet de comprendre les trésors d'ingéniosité que les anciens déployaient pour vivre dans un climat chroniquement hostile. Notre guide observe qu'il fait près de 40° dehors et de l'ordre de 25° à l'intérieur. La demeure est située sur le flanc nord d'une palmeraie, dans le vieux village d’El Hamra à Oman. Elle possède un système élaboré de conduits souterrains permettent de capter la fraîcheur de cette palmeraie et ses murs, exposés au sud, font près de 80cm d'épaisseur. Mais au sein de ce village d'une centaine de maisons aux volumes respectables et aux pièces spacieuses, seules quelques unes sont toujours occupées. Il tombe en ruine depuis une quinzaine d'années, attendant un hypothétique classement de l'Unesco.

Notre guide nous montre l'autre rive de la palmeraie, enlaidie par de grandes maisons en ciment aussi disparates les unes des autres. Il nous explique qu'elles appartiennent aux anciens habitants du bourg où nous nous trouvons. Pourquoi sont-ils partis ? Essentiellement parce que le village aux maisons resserrées, pour limiter l'exposition au soleil, ne permet pas l'accès en voiture. Et puis parce que l'électricité est désormais tellement bon marché que les climatiseurs compensent la mauvaise efficacité énergétique des constructions en ciment.

Un rapide calcul montre que le rapport énergétique d'un habitat a l'autre induit un rapport de plus de 100 en consommation électrique, alors même que le progrès des techniques entre les deux ères que ces habitations caractérisent est considérable. Étant donnée la nature très carbonnée de l'électricité du pays où nous nous trouvons, chaque nouvelle maison émet de l'ordre de 5 tonnes de CO2 par an pour sa climatisation.

L'histoire nous apprend donc que la contrainte créé l'usage, et que la disparition de cette contrainte -ce que permet la technologie- créé de nouveau usages. Elle nous montre aussi que sans prise en compte des externalités (émissions de CO2, pollution...), ces nouveaux usages peuvent se révéler dramatiques pour l'environnement. C'est le fameux effet rebond.

Cet exemple est riche d'enseignements. En premier lieu, il demontre combien faire fi des techniques du passé est imprudent et que croire que la technologie seule va résoudre les enjeux du réchauffement climatique est excessivement technosolutionniste.

C'est par exemple la posture qu'adoptent les élus du Parti républicains américains qui, après avoir des décennies durant nié l'existence du réchauffement climatique, affirment aujourd'hui que les technologies vont résoudre cet enjeu et qu'il est important de... ne rien faire. Une posture excessivement prométhéenne et même manichéenne, qui rejoint en bien des points l'idéologie dominante de la Silicon Valley.

Cet exemple montre surtout que les usages seuls ne peuvent dicter nos choix. Pour des gains parfois marginaux (accéder à son domicile directement en voiture, plutôt que de la laisser sur un parking à proximité...), des systèmes ingénieux sont abandonnés, sans parler du vivre ensemble, incomparablement moins bon dans les lotissements individuels modernes.

Penser un instant que nous allons effectuer une transition énergétique totale sans modifier en profondeur nos usages est au mieux naïf. L'enjeu est tellement considérable qu'il en passera par une réorganisation forte de nos societes humaines pour accroître l'efficacité de l'énergie.

A contrario, promouvoir l'idée que c'est la technologie qui est responsable de nos maux est également inconséquent, tant celle-ci est porteuse de solutions et d'efficacité énergétique.

Un Londonien du milieu du XXème siècle émettait deux fois plus de CO2 qu'aujourd'hui, pour un confort de vie certainement inférieur. N'en déplaise aux Républicains américains, la solution se trouve plutôt dans une juste adéquation entre régulation et innovation, tout en d'acceptant le fait que la prise en compte des coûts environnementaux va nécessairement faire fortement évoluer les usages.

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